HISTOIRE
PRODIGIEUSE,
D'UN
GENTILHOMME
auquel le Diable est apparu,
& avec lequel il a conversé,
sous le corps d'une
femme morte.
Advenu à Paris, le premier
de Janvier 1613.
...Il advint que le premier jour de ce mois de Janvier, 1613 pendant que ces pluies qui nous ont si
longtemps tourmentées duraient encore, il y eut un jeune gentilhomme demeurant en cette ville, lequel
retournant l’âpres dîner environ les quatre heures de quelques compagnie avec laquelle il avait passé
une bonne partie du jour : rencontre dans une petite allée qui faisait l'entrée de sa porte :
une jeune demoiselle bien en ordre ayant apparence de quelque courtisane bien vêtue d'une robe de
taffetas bien coupées, enrichie d'un collier de perles & autres plusieurs joyaux beaux et bien
apparents : laquelle comme étonnée & toutefois d'une façon rillante s'adressa au Gentilhomme &
lui dit,
Monsieur, combien que l'injure du temps ne me permette de me mettre à sa merci, j'aimerais
toutefois mieux m'y exposer que de dire que je vous puisse apporter la moindre incommodité
du monde, occupant ici sans permission aucune l'entrée de votre logis, que si c'est chose
que je puisse faire dans votre mécontentement, je vous en serait autant obligée toute ma vie
que pas une de celles qui aient jamais eu l'honneur d'être vos plus affectionnées servantes.
Le Gentilhomme considérant ce que la Damoiselle pouvait être, jugeant de l’extérieur, & voyant
l’honnêteté de laquelle elle avait usé, cru être de son devoir de lui rendre le semblable tant
de parole, que d’effet, & pour ce lui dit,
Mademoiselle je suis grandement fâché de ce que ma venue a été trop tardive pour vous pouvoir
témoigner le service que j’ai voué de tous temps aux Dames & principalement à celles de votre
qualité, & pour vous le faire reconnaître je ne vous offre as seulement le logis, mais tout ce
qui dépends de moi & ce que vous croirez être en ma puissance ou je vous pourrais rendre très
humble service, & ce pendant je vous supplierais prendre la peine d'entrer attendant que la pluie
soit passée.
La Damoiselle lui dit,
Monsieur je n'ai jamais mérité l'offre que vous me faites, & je m'en
vengerais en quelque part que ce soit, où l'occasion s'en présentera, mais je vous prierai
seulement me permettre que j'attende ici mon carrosse lequel j'ai envoyé quérir par mon
laquais ; non dit le Gentilhomme vous m'obligerez de venir prendre une chétive collation
attendant votre carrosse, & combien que vous ne soyé reçue selon votre qualité & mérite,
je m'efforcerais à vous rendre ce qui sera de mon devoir.
Enfin après plusieurs contestations
de part et d'autres, la Damoiselle entra & se colèrait extrêmement de ce que le laquais ne
venait : la journée se passe sans que le laquais eut des jambes, ni le carrosse des
roues pour venir.
L'heure de soupé venu, le Gentilhomme s'efforce de la traiter le mieux qu'il
pu. Lors que s’approche le temps de se coucher, la Damoiselle le supplie, que puisque il lui
a tant fait d’honneur, qu’il lui face encore ce bien de lui donner un lit a elle seule, vu qu’
il ne serait pas bienséant à une jeune Damoiselle d’admettre quelqu’un à sa couche, en ce qui
lui octroya facilement : En se déshabillant il lui tint quelque discours amoureux, auxquels il
la trouvait répondre comme savante en cet art, ce qui l’émut, & croyant qu’il obtiendrait d’
elle facilement ce qu’il désirait, la laisse coucher, puis poussé de l’audace qui appartient
à l’amour seulement de nous donner, va la trouver ans son lit faisant semblant de s’enquérir
si elle était bien ou non, & peu à peu en discourant lui coula la main sur le sein, ce qu’elle
endura ; enfin par plusieurs poursuites il obtint quelques baisers avec promesse d’autre
choses, baisers qui allument le feu en son âme, la flamme duquel consume nos esprits & qui
de la fumée obscurcit les yeux de notre entendement. Voilà donc ce pauvre abusé qui a bien
de la peine à obtenir ce qu’on lui voudrait avoir concédé. Enfin après une infinité de prières
ce qu’il désire lui est permis, le voilà soudain qu’il se coche. Mais je vous prie laissons
jouir ce pauvre Gentilhomme des plaisirs qu’il croyait être parfaits, combien que n’en étant
que l’ombre ils lui causeront autant de repentirs que de fois il a pensé à se les acquérir
: & vraiment on le plaindra quand on saura l’issue de cette histoire. Pendant que la nuit ce
passe il fait un long songe qui le tourmente fort touchant celle qu’il avait couchée auprès
de lui, étant le matin venu il se lève, & craignant que quelqu’un ne le vint voir, & que
voyant cette Damoiselle on en pensait quelque chose, il l’envoi éveiller par son laquais,
auquel elle répondit qu'elle n’avait point dormi la nuit & qui lui permit se récompenser
sur la matinée : à quoi le laquais ne répondit rien, & rapporta cela à son Maître.
Lequel
après avoir fait quelque petits tours de ville, retourné qui fut avec quelques uns de ces amis ne les voulait
faire monter en sa chambre que premièrement il n’eut envoyé son homme avertir la Damoiselle
qu’elle sortit : toutefois il se résolut d’y aller lui même afin de s’executer encers elle si
elle n’avait été mieux traitée, où état parvenue il tire le rideau, & l’ayant appelée par
quelques noms amoureux la voulut prendre par le bras, mais il la senti aussi froide qu’un
glaçon & sans pouls ou haleine quelconque : de quoi tout effrayé il appel son hôte, mais en
vain, car celui étant accompagné de plusieurs autres, on la trouve toute raide morte, alors
on fit venir soudain la Justice & des Médecins, lesquels tous d’un commun accord dirent que
s’était le corps d’une femme laquelle y avait quelque temps qui avait été pendue, & que
c’était un Diable qui s’était revêtu de son corps pour décevoir ce pauvre Gentilhomme.
Ils n’eurent pas proféré ces paroles qu’à la vue de tous il y eut une grosse et obscure
fumée dans le lit qui dura environ l’espace d’un Pater, & avec une puanteur extrême leur
offusqua les sens de telle force qu’ils perdirent de vue sans savoir ni pourquoi ni comment,
celle qui était dans le lit. Enfin cette fumée petit à petit se diminuant disparue, & ils
ne trouvèrent que la place vide où était cette charogne. Lors tous généralement autant les uns
que les autres déploraient l’accident qui était survenu à ce pauvre Gentilhomme, lequel je vous
laisse à penser s’il était étonné d’avoir habité toute la nuit avec un Démon & être arrivé en
son endroit l ‘effet d’une chose si prodigieuse & difficile à croire, si ce n’était que le
témoignage de ceux qui l’ont vus nous l’apprend & la subsistance de ceux qui étaient présents.
Et voilà ce que je t’ai voulu présenter Lecteur, comme chose plus digne de foi d’être vue que non
pas par le grossier Discours duquel j’ai ourdi.
Je te prie donc la recevoir pour la chose et non
pour la parole en attendant mieux, ainsi soit il.
F I N
Dieu demeure avec nous.