Lettre du Sieur Grandier au Roi Louis XIII

Dans cette lettre le prêtre Grandier s'adresse à Louis XIII, dernier recours avant son exécution.


"Sire,

Voici deux points que je tâcherai de faire connaître à Votre Majesté le plus clairement que pourrait faire un homme qui est il y a sept mois dans les ténèbres.

Quant au premier, je dis que ces filles ne faisant voir aucun des signes que l'Eglise demande pour témoigner la possession, je conclus qu'elles ne sont pas possédées.

Le premier est parler en diverses langues, ou pour le moins les entendre. Ces Démons ne font ni l'un ni l'autre. Ils ont bien du commencement parlé Latin ; mais il faisaient de si lourdes fautes que les esprits les plus éclairés jugèrent bien qu'ils n'étaient de ces intelligences qui se perdirent pour trop savoir. Les exorcistes s'avisèrent de leur faire parler notre langue, parce que c'était celle-là qu'ils parlaient le mieux et qui leur était plus naturelle ; les Démons aiment la France, puisqu'ils veulent parler français.
Mais pour excuser les silences de ces diables muets, quand on les interroge en grec ou en bon latin épuré qui n'est pas commun, ils répondent que c'est un pacte que j'ai fait avec eux.

Le second signe ou la seconde marque de possession est d'élever en l'air les créatures possédées, ce que ces diables ne font pas, ni ne feront jamais, quelque commandement qu'on leur fasse.
Ils ne feront non plus le troisième qui est de révéler des choses occultes, cachées, éloignées du sens humain. Ils ne savent que faire des grimaces, se coucher par terre, marcher ne écrevisses et autres petites sottises que j'ai honte d'entretenir Votre Majesté.



Au reste, si on ne croit cette possession feinte, on est hérétique.
Pour ce qui est de second point qui est que quand même ces filles seraient possédées, je ne suis pas la cause de la possession. Je le montre de cette façon : l'on ne peut présumer que par le témoignage du Diable, que je récuse comme faussaire ; si les hommes menteurs et reconnus pour tels ne peuvent pas être témoins, à plus forte raison le père du mensonge, qui prend plaisir de faire coupable de l'innocent ; que si l'on dit que la force des exorcismes les peut contraindre à confesser la vérité, je demande si c'est toujours ou seulement quelques fois.

Les exorcistes de Loudun prenaient à tâche d'extorquer par commandement le témoignage de cet ennemi juré du genre humain contre mon intérêt. Et, ce qui est plus ridicule, ils usaient souvent de prières et de paraboles, de cajoleries, l'appelant généreux, savant, ami, et qu'en récompense, ils diminueront les peines imposées pour sa rébellion, peu s'en fallut qu'ils ne lui promissent de le retirer du lieu ou la divine justice l'a relégué pour éternité des siècles.
Mais permettez moi Sire, que je découvre Votre Majesté leur procédé plus amplement, et elle connaîtra qu'il n'a pas été bon et qu'il a fort scandalisé les hérétiques de cette ville, car on a permis aux Diables de dire les paroles les plus lascives, les blasphèmes les plus exécrables, contre Dieu et la Vierge, qui aient jamais été ouïs.

Je ne demanderais sinon qu'il plût à Votre Majesté députer deux docteurs de la Sorbonne pour juger de la vérité de la possession, et des bons juges pour examiner mûrement mon affaire. Si je suis coupable, je ne demande que des roues et les supplices les plus cruels. Si je suis innocent, il est raisonnable que mon innocence paraisse. Quoique je meure ou je vive, je serai en la mort et en la vie.

Sire,
De Votre Majesté le très humble, très obéissant, très fidèle et très affligé serviteur et sujet.

Urbain Grandier"








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