Extrait du Procès
Verbal des exorcismes qui se font à
Loudun, par ordre de Monseigneur
l _ évêque de Poitiers sous l'autorité
du Roi.


E Lundi cinquième de Novembre 1635. Après que le Démon Isacaron, l'un des quatre possédants la Mère Prieure a eu fait son adoration ordinaire au Saint & sacrement dans l'Eglise des Ursulines, où le révérend père Surin e la compagnie de Jésus l’exorcisait, le corps de la possédée à été subitement levé tout droit sur ses pieds, & Léviathan (chef de cette bande en la possession de Loudun) a paru inopinément en la place dudit Isacaron, se déclarant par une morgue dédaigneuse, & une allure superbe, avec une face très belle & luisante, sur quoi l'Exorciste parlant latin, selon la coutume, à dit : Voilà un Démon qui fait du beau, mais pour la gloire de Dieu & l'édification des assistants, je veux tout à cette heure qui fasse voir les laideur & difformités, & l'Hymne, O Gloriosa ayant été chantée à cette fin, le corps de ladite prieurée à été prosterné par terre montrant un visage fort hideux & effroyable, avec des contorsions étranges en tous ses membres, tournant contre terre le visage pour n'être point vue, & puis se redressant a repris une face fort majestueuse, & est allée s’asseoir arrogamment dans une chaire, branlant la tête avec gravité, & témoignant vouloir dire quelque chose ; mais l’exorciste l'ayant forcé par un prompt commandement de s'humilier & de se jeter à terre pour adorer le Saint Sacrement, & lui demandant s'il n'était pas vrai que Jésus christ l'avait vaincu en cette fille & par elle, A répondu avec blasphèmes d'un accent plaintif & d'une mine abattue, il n'est que trop vrai pour moi ; Derechef pressé de faire son adoration il s'est mis aux pieds du père qui tenait le Saint Sacrement en main, se roulant avec d'effroyables agitations, les embrassants en diverses fois, & pendant le Magnificat se chantait, a étendu les bras et les mains avec raideurs, & la tête appuyée aux pieds dudit exorciste sur le milieu de la marche de l'autel, la tournant en profil vers aucuns des spectateurs du coté de la fenêtre, a fait voir au milieu du front une belle blessure en croix de laquelle coulait un sang frais et vermeil, où la première & seconde peau appelées derme et épiderme était offensée et entrouverte de la même mesure qu'elle parait en cette figure.


A même temps le père qui savait le signe de la sortie finale, de ce premier Démon, promise & signée dudit Léviathan dès le dix septième Mai 1634. en présence de Monseigneur l'évêque de Poitiers & de beaucoup de peuple, s'est écrié, Voilà Messieurs Dieu merci, le signe de l’éjection, Léviathan est dehors. Et lors ladite prieure a paru tout à coup d'un visage si modeste & serein & d'un esprit si tranquille à la fois, que les spectateurs ont bien aperçus, nonobstant le sang qu'elle avait sur le front que vraiment le doigt de Dieu & le rayon de la miséricorde y était. Ce qui les a obligé sur l'heure de chanter parmis des larmes de joie, le Cantique Te Deum.



Sur cela les Exorcistes s'étant résolus de faire paraître derechef Isacaron pour l'obliger de rendre compte de cette blessure, & ayant à cette fin chanter l'hymne Memento Salutis Auctor, ledit Isacaron s'est montré sur le visage avec une contenance effroyable, puis d'une joie insolente c'est écrié trois fois, je suis le maître, interrogé comment, à dit d'autant que le chef s'en est allé. pressé s'il disait vrai étant si grand menteur, A dit, il est autant vrai comme la chair de Dieu est dans ce tabernacle que voilà. Enquis où est à présent Léviathan, A répondu que sais-je en Enfer, comme je pense ; Enquis d'où lui est venu ce soudain départ, & s'il en savais rien, 1 dit Mordieu, Sang Dieu, Chair Dieu, non il n'en savait rien, ajoutant Joseph est venu qui l'a chassé, lui intimant de la part de Dieu, qu'il n'était plus temps de résister aux ministres de l'Eglise, & qu'il en avait assez triomphé. Finalement pressé de dire si la Croix Sanglante qui était au front était une plaie de main d'homme, a dit que non, & l'a juré : Sur quoi le Père Exorciste a déclaré de façon brève trois choses aux assistants, que la prière par l'avis qu'il lui en avait été donné dès lors qu'il avait commencé à l'exorciser s'était mise sous la protection particulière de ce Saint Patriarche, que depuis deux mois elle avait de beaucoup augmenté sa dévotion vers lui, & qu'en fin depuis deux jours elle avait fait voeu de réciter le petit office dudit Saint tous les jours durant un an. Dequoi, Nous Jacques Nozay, Greffier en la commission donnée par le Roi pour le fait desdits exorcismes à monsieur de Laubardemont, conseiller de sa majesté en ses conseil d'état et prieuré, suivant l'ordre à nous donné par mondit sieur de Laubardemont. Avons fait et dressé le présent acte & celui fait signer à ceux des présents qui savais écrire, pour témoignage de la vérité qu'il contient, après que lecture en a été hautement faite. Ainsi signé Jean Joseph Surin de la compagnie de Jésus, R. Demorans, F. Tranquille Capucin exorciste, F. Elizee Capucin, F. Venance .......

Et Nozay Greffier

FIN




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